Berlinale (en ligne) — Jours 3 & 4
par Xavier Leherpeur
Retour sur les Jour 3 et 4 du festival.
Jour 3
Pour ce troisième jour de la compétition, deux films questionnent le fantastique et y répondent par l’intelligence conjointe du scénario et de la mise en scène. Un double enchantement hélas nuancé par un troisième film bavard et conceptuel qui brille par l’absence de cinéma.
Avec Petite Maman, la cinéaste Céline Sciamma signe un film magique dans tous les sens du terme. Tout commence par la mort de la grand-mère. Avec ses parents, la jeune Nelly commence à vider la maison. La mère s’éloigne laissant l’enfant et son père s’acquitter de la tâche. Entre deux cartons, Nelly s’aventure dans la forêt et y fait la connaissance d’une petite fille de son âge qui lui semble très vite familière. Tout comme la maison où habite sa nouvelle amie. Tenter de garder le mystère de ce postulat de départ qui emprunte aux contes de fées ne facilite pas la tâche du papier critique. Mais c’est le moindre respect que qu’il faut avoir vis-à-vis des futurs spectateurs de cette merveille où la cinéaste française nous éblouit par la maturité de son propos, sa manière très naturelle de traiter un sujet surnaturel et la confiance qu’elle a dans l’outil cinématographique pour laisser poindre et éclore l’émotion de cette fable initiatique. Sans effet, avec cette redoutable simplicité qu’il est parfois si compliqué d’accomplir au cinéma et avec une beauté douce qui touche à l’émerveillement. Même sentiment de ravissement avec Ras vkhedavt, rodesac cas vukurebt ? du géorgien Alexandre Koberidze. Lorsqu’ils se rencontrent par hasard pour la seconde fois, Lisa et Giorgi décident d’y voir un signe du destin et de se retrouver le lendemain soir pour prendre un verre. Mais un facétieux démon a décidé qu’il n’en serait rien et la nuit venue nos deux futurs tourtereaux sont transformés. Non seulement ils changent d’aspect physique mais de plus leur talent naturel, elle pour ses études de médecin, lui pour le football, disparaît. Commence alors une quête urbaine où l’un et l’autre cherchent désespérément à se retrouver sans pouvoir jamais se reconnaître. Il faudra deux chiens fans de ballon rond et une équipe de cinéma pour avoir raison de l’ensorcellement. En confiant le récit à une voix off, écho de l’ironie qui parcourt le film, et en faisant le choix pas toujours vendeur de la durée (2h30), Alexandre Koberidze cherche la difficulté. Mais sa gestion du temps tout en flânerie poétique, en soignant des cadres qui, sans artifice, révèlent la beauté parfois étrange d’une ville et en travaillant la magie intrinsèque du septième art, il signe, entre réalisme et chimère, un film débordant de charme. Dans tous les sens du terme.
Ce qui n’est pas le cas de Rengeteg - mindenhol l tlak du hongrois Bence Fliegauf. En près de deux heures, il signe un film interminablement bavard où s’agressent des pères et leurs filles, des mères et leur fils, des amants… Une thérapie expresse pour dire la toxicité des relations dites intimes où tout n’est qu’agression et rancœurs. Mis à part trois quatre plans qui rompent le systématisme de la mise en scène, tout est filmé en plan serré, à l’épaule, avec une caméra pivotant sans cesse d’un protagoniste à l’autre. Un faux naturalisme de l’affrontement assez crispant, rapidement inopérant et laissant en suspens une question cruciale : à quoi le cinéma sert-il ici ? A l’évidence, pas à grand-chose.
Jour 4
Quatrième jour de compétition avec un drame judiciaire iranien et un triptyque japonais sur la persistance et la perversité du sentiment amoureux. Deux films qui remplissent parfaitement leur cahier des charges sans toutefois jamais déborder de la ligne de celui-ci.
Ghasideyeh gave sefid (Ballad of a White Cow) de Behtash Sanaeeha et Maryam Moghaddam s’inscrit dans la lignée de ces films noirs réalistes et sociaux iraniens popularisés par Asghar Farhadi. Un an après l’exécution de son mari pour un meurtre dont il vient enfin d’être innocenté, une mère et sa fille malentendante sont secourues par un ami du défunt. Mensonge, celui-ci est en réalité un des juges ayant prononcé la peine capitale. Dévasté par la culpabilité, il tente sans se faire connaître de réparer cette injustice. Sort de femmes (son statut de célibataire la ramène à redevenir une citoyenne de second ordre), légitimité éthique de la peine de mort, ambiguïtés de la machine judiciaire… Rien ne manque à cette fiction efficace. Et la mise en scène, subtilement rigide à l’image de la droiture de justice qui se referme sur les personnages, fonctionne indéniablement. Sans parvenir à pallier la réserve d’un film qui, sans tomber dans les excès du film à thèse, définit un peu trop ses protagonistes en fonction de son sujet et reste du coup un peu trop dans les clous de son devoir testimonial.
Avec Guzen to sozo (Wheel of Fortune and Fantasy), Ryusuke Hamaguchi, l’auteur des récents Passion, Senses et Asako I&II, signe un collectif de trois courts récits où il est question de trahison et de persistance du sentiment amoureux. Tendus entre Rohmer et Bergman, ces histoires déguisent leur perversité sous la fausse quiétude de ce que l’une des personnages appelle « l’étiquette sociale ». Mais la retenue des comportements n’empêche pas les émotions de poindre souvent avec douleur. Trois histoires indépendantes (une jeune femme découvre que sa meilleure amie sort avec son ex, une étudiante dont l’amant a été humilié par son professeur de français tente de piéger ce dernier et une femme croit reconnaître dans la rue la femme qu’elle a autrefois aimé), remarquablement écrites et parachevées par une réalisation qui révèle en creux les agitations, les troubles et les inquiétudes des personnages. Mais le choix de la brièveté fonctionne au final à double tranchant. Agissant à la fois comme un beau facteur de précipitation de la narration mais aussi comme un frein un rien frustrant à son ampleur.