Greg Reynaert — L’homme d’un autre endroit
Après avoir passé sa vie un saxophone entre les doigts, le jazzman Greg Reynaert s’est jeté à corps perdu dans la pop. En se payant un détour par Twin Peaks.
par Aurélien Lemant
Révélé au public comme musicien professionnel dès 1995, jouant dans diverses formations jazz essentiellement instrumentales – entre autres son propre groupe Elijah, quatuor électrisé fondé à l’orée des années 2000 et reconverti en septette à partir de 2021 –, le Lillois Greg Reynaert, surnommé par ses pairs le « couteau suisse du Nord » pour son approche pluridisciplinaire de la musique comme de la scène, ainsi que pour sa capacité à remplacer tout saxophoniste au pied levé et ce quel que soit le style demandé, s’est enfin décidé à accomplir son rêve pop, entre chic et poésie.
Come back in style
Son premier album solo, dans lequel un Reynaert devenu chanteur n’oublie pas son passif de jazzeux, côtoie les rivages de la variété internationale autant que de la chanson française, en louvoyant le long de mambos inquiets et de swings manouches. Si les galaxies qu’il mélange pour accoucher d’un univers bien à lui partent faire du tourisme dans toutes les directions de son héritage culturel, Greg Reynaert a opté pour un double clin d’œil à la série et au film de Lynch avec le titre de son disque et sa pochette. L’HOMME D’UN AUTRE ENDROIT 2014 (Driwa/Vizuel) est en effet baptisé en hommage au personnage du même nom, tel qu’il apparaît dans TWIN PEAKS sous les traits de l’acteur Michael Anderson, se trémoussant sur un groove d’Angelo Badalamenti sourire aux lèvres et œil malicieux. A mi-chemin du cool et de l’étrangeté, ce spectre aussi déroutant qu’élégant, qui déclarait dans l’ultime épisode de la saison 2 « Là d’où nous venons, les oiseaux chantent une jolie chanson », pouvait incarner quelque chose de différent dans le paysage pop frenchy. Sur la couverture de l’album comme dans ses portraits en médaillon du livret, Greg Reynaert ne s’est pas affublé du costume de soirée disco rouge avec col pelle à tarte de l’Homme d’un autre endroit : il s’est spontanément tourné vers le style plus austère de Dale Cooper. Remplaçant la cravate de l’agent du FBI par un nœud papillon, attribut vestimentaire fréquent chez les jazzmen, c’est de noir vêtu qu’il s’offre aux regards, ici accroupi sur un rocher l’air pensif, concentré comme en méditation pour une enquête métaphysique, là exposé au nuage sombre et menaçant qui vogue à sa rencontre.
Quand tu me reverras ce ne sera pas moi
La chanson éponyme évoque pléthore d’images en provenance de la loge noire où l’Homme d’un autre endroit accueille l’agent spécial : « qu’une glace casse, elle engendre des jumeaux (…) quand les sosies auront pris ce qui restait de moi (…) sur le pli rouge d’un rideau (…) et dans la salle d’attente de l’éternité quand nous aurons tous deux sifflé le dernier café, blanc service de porcelaine et cuir des fauteuils, quand tu me reverras, non ce ne sera pas moi ». Le tout mélangé, pour faire bonne mesure, à une histoire d’amour. Evidemment.