Cannes 2021 — Ceci est mon corps, prenez en tous
par Xavier Leherpeur
Non, contrairement aux apparences, ceci n’est pas un appel à une orgie démoniaque. Quoique. On se refuserait pas un peu de cul (et de Q.I. pour citer Mylène) dans ce festival très masqué auquel manque toutefois une belle flopée de plumes.
Il s’agit plutôt ici de s’intéresser à la manière dont trois cinéastes femmes filment le corps des hommes et comment elles proposent hors des sentiers battus et rabâchés une façon alternative, délicate et interrogative du mystère masculin souvent réduit à sa virilité musculeuse mais qu’elles vont traquer dans un mouvement dérobé mais très affirmé de cinema.
Commençons par ROBUSTE premier long de Constance Meyer présente en ouverture de la Semaine de la critique. Avec pour modèle central, narratif et physique, le corps massif mais format composé d’argile de Gérard Depardieu. Qui interprète ici un acteur qui lui ressemble en tout (embon)point, éructations, énervements et moments de détresse comme d’infinie solitude. La bonne idée de la réalisatrice est de sans cesse diffracter son regard à travers celui des personnages secondaires (sa garde du corps interprétée par la décidément sensationnelle Deborah Lukumuena ou son fils de cinq ans) et surtout celui de Depardieu lui-même. Miroirs et reflets, sorties de champ en douce, cinétique particulier de ce ville désarmant… elle filme surtout la sédimentation du mouvement de Depardieu. Les traces et le silence qu’il laisse derrière lui. Ce moment de calme retrouvé où les particules autour de lui semblent reprendre leur place après le passage de cette bourrasque essoufflée. Et c’est magnifique.
Comme l’est la façon dont Leyla Bouzid filme le corps de Samir Outalbali dans UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DESIR également à la Semaine. Un corps pris dans la tourmente de son attirance pour la superbe Farah (envoûtante Zbeida Belhajamor), ses doutes, ses inhibitions et ses craintes. Le tout perturbé par les cours de littérature arabe ancienne qu’il prend à La Sorbonne. Le mot glace la chose sexuée dans cette fable initiatique que le masque en scène se charge d’érotiser et d’incarner à travers un travail subjuguant sur le corps du héros. En particulier au cours d’une scène cauchemardesque où le garçon semble être attaqué et violenté en douceur par une main caressante et sanguinaire. La cinéaste prouve que le corps de l’homme peut être autre chose qu’une puissance solide mais que c’est au contraire dans sa fragilité qu’il trouve toute sa beauté sensuelle.
Enfin dans SUPRÊMES (Hors compétition), production bourrée d’énergie électrique à défaut de véritable inspiration et reconstituant les débuts de NTM dans les années 90, Audrey Estrugo fait de Théo Christine (acteur époustouflant de charisme et de nuances de jeu) un Joey Starr qu’il s’approprie avec génie sans tomber dans le piège du mimétisme. Car la version de la star qu’offre le comédien n’appartient qu’à lui, dans son jeu, ses faon d’être cette idole qui se brûle elle-même consciente même avant le succès d’être déjà son pire ennemi. Un phénix que Théo Christine auquel ce dernier offre un corps, une silhouette et une présence rase et qu’il fait incessamment renaître en complicité avec la mise en scène et le découpage de la cinéaste, qui sait parfaitement sublimer, en termes dramaturgiques, la beauté exquise de son modèle. Et sa folie de jeu. Un immense acteur est en train de naître.