Vive la reine !

Par Arthur-Louis Cingualte

 

Gouvernée par une manière élégante peu affectée par les tendances télévisuelles les plus assourdissantes du moment, la série The Queen’s Gambit (Le jeu de la dame) pourrait très bien tenir debout toute seule. Mais ce qui est certain, c'est que sans Anya Taylor-Joy on ne pourrait pas la voir à certains endroits se soulever du sol.

 
Anya Taylor-Joy dans The Queen’s Gambit © 2020 Netflix, Inc.

Anya Taylor-Joy dans The Queen’s Gambit © 2020 Netflix, Inc.

Comment expliquer une telle prestation ? Comment observer l’altière flamme qui l’accompagne et emporte tout du regard du spectateur sur son passage ? Éruption solaire ? Alignement des planètes ? Échanges magnétiques polaires ? Le bon rôle, la bonne actrice, le bon moment, Il y a bien évidemment quelque chose de l’ordre de la conjonction cosmique, de propres aux phénomènes qui ne s’expliquent pas et dont il faut toujours se défier de vouloir les comprendre pour garder intacte leur faculté à émerveiller. 

Retenons notre appétit pour la dissection avancée, baissons les armes et négligeons les incohérences comme les afféteries du scénario. Acceptons la cristallisation pour cette démonstration. Dans les temps qui courent, il est capital ne pas gâter les rares miracles qui s’offrent à nous. Et d’autant plus qu’ici il n’y a pas, tant la performance d’Anya Taylor-Joy imprime la rétine et fait tout oublier du reste, d’efforts particuliers à produire pour se retenir de gâter quoique ce soit.

En effet, à l’instar de films tels que Plein soleil (1960) ou La double vie de Véronique (1991), il y a dans The Queen’s Gambit, une deuxième série qui concurrence la première et fini par prendre sa place. À l’œuvre de fiction qui prétend nous être montrée se superpose quelque chose comme une sorte de documentaire sur le charisme et la beauté exceptionnelle de son interprète principale. Ce que l’on voit alors ce n’est plus Beth Harmon, prodige américaine des échecs, mais, comme l’écrivait Louis Massignon au sujet de la seule histoire d’une personne humaine valable à ses yeux, l'émergence graduelle du vœu secret d’Anya Taylor-Joy à travers sa vie publique.

Il faut dire que sa prestation est un évènement. Il n’est plus question d’actrice qui habiterait son rôle, ou de rôle qui habiterait son actrice. Il n’y a pas rencontre entre les deux, mais plutôt retrouvailles ; des retrouvailles entre deux personnes qui ne s’étaient jamais vues auparavant, sinon sur un plan supérieur.

La précision avec laquelle Anya Taylor-Joy se déplace et arrange toute une palette très nuancée d’expressions est remarquable. Chacun de ses mouvements (que souligne une garde-robe art-déco spectaculaire) est administré par l’intelligence et la grâce. D'une certaine façon la jeune actrice joue comme une de ces pièces d’échec que son personnage manipule et hallucine. Et inutile de chercher bien longtemps où elle se trouve sur le plateau. Attaque, défense et contre-attaque, capable de tous les déplacements Anya c’est bien évidemment la Reine (le Roi serait trop court).

Elle est toute aussi redoutable. Le plateau s’ouvre devant elle. On peut toujours essayer de se dérober de son emprise, l’issue de la rencontre reste invariable : elle met mat tout le monde, y compris la série elle-même.