Visite guidée
Tel un flâneur qui déambule dans une ville étrangère, rencontrer une nouvelle revue requiert de perdre ses repères, d'accepter l'inconnu, de se laisser guider par l'envie de découvertes, nouée à un pur désir de cinéma. Puisqu'il s'agit d'une première visite, voici la carte de cette nouvelle contrée, qui a pour nom La Septième Obsession.
À chaque numéro, son « Obsession » : on s'attaque à ce qui nous obsède, au cinéma qui nous hante, aux cinéastes qui nous questionnent inlassablement. On rentre dans la « jungle », on se bat avec nous-mêmes pou déceler des choses, avancer, y trouver notre bonheur ou son envers. L'Obsession est le lieu des combats à mener, des lignes à tracer, l'espace pour se confronter aux questions essentielles que nous voulons lancer, mettre en perspective et laisser ouvertes à toutes formes de discussion. Celle de ce numéro creuse les rêves des cinéphiles, toujours extrêmement vivaces, avec leurs rêves de cinéma, leur amour de la fiction, leur envie de voir derrière les apparences. Des cinéphiles qui disent, encore et encore, la grandeur et la beauté du cinéma, avec sa faculté insaisissable de fixer tant de subjectivités et de manières de saisir le monde. De Rafik Djoumi qui exalte les vertus du cinéma populaire, capable de faire communauté au-delà des barrières sociales, à Jean-Baptiste Thoret qui rappelle que la cinéphilie est l'art de la contrebande, en passant par Alain Badiou qui fait du cinéma la réactivation de l'allégorie platonicienne de la caverne, les désirs de cinéma sont toujours aussi forts, et c'est pourquoi nous écrivons, pour lui rendre hommage. Mais l'Obsession, par essence pulsionnelle et excessive, doit laisser place à la respiration du voyage, à la rencontre de nouveaux espaces. Dans la « plaine », on respire, on voyage, on rencontre, mais on ne fige rien, tout est en construction. Les « Boussoles » s'écartent des sentiers balisés pour nous guider vers des chemins de traverse, des lignes de fuite : dans ce numéro, le décentrement du regard, du Tchad à l'Iran, permet de rappeler que la cinéphilie est encore un combat, dans des pays où l'accès au cinéma, pour des raison économiques, sociales ou politiques, est encore un luxe, une lutte. Nous donnons également la parole à ceux qui défendent le papier, non comme un simple support, mais comme la possibilité réitérée de prendre le temps de lire, de méditer, de voir, d'entendre résonner les œuvres.
Après ces échanges, les œuvres du moment nous permettent de prendre la pulsation du cinéma à l'épreuve de la salle et des sorties, pour voir si la magie opère. On arrive dans une « ville » que l'on redécouvre à chaque fois, avec ses acteurs, nouveaux ou anciens. On essaie de les comprendre, on les rejette, on les aime, on les questionne. Les « Repérages » du mois sont marqués par le rendez-vous, manqué ou non, avec certains cinéastes majeurs : la fable introspective de l'immense Terrence Malick (KNIGHT OF CUPS), l'essai historique d'Alexander Sokourov (FRANCOFONIA), le poème lyrique de Marco Bellochio (SANGUE DEL MIO SANGUE) ou le romantisme charnel de Guillermo del Toro (CRIMSON PEAK).
Ce temps de la découverte enclenche aussi des retrouvailles, avec des auteurs passés ou contemporains, animés d'un même enthousiasme débordant. Des personnalités, qui connaissent par cœur la carte cinématographique, qui sont dans cette ville depuis tant d'années, qui la connaissent comme personne. Ils viennent défendre une idée de cinéma singulière, qu'elle soit a priori aussi éloignée que celle du réalisateur hongkongais Tsui Hark ou de Caroline Champetier, chef-opératrice du HOLY MOTORS de Leos Carax. Par leur regard avisé, expérimenté, ces personnalités nous aident à cerner l'art cinématographique. Mais ces repérages ou ces rencontres ne dictent aucune ligne de conduite, aucun chemin préconçu, laissant ensuite libre cours aux « Focales », prises de vue singulières, réflexions libres, exigeantes, indépendantes, voire lyriques (et nous remercions tout particulièrement Gao Xingjian pour sa défense du ciné-poème) L'image choisie pour illustrer notre première couverture résume plutôt bien ce numéro « romantique » et engagé, qui laisse la parole aux irrévérencieux et aux insolents. À quoi rêvent les cinéphiles ? Au retour de la lumière, à la poursuite des ombres. Le cinéma, comme le plus beau des voyages, où s'explorent sans cesse des terra incognita. Le cinéma, comme la plus belle marche vers la beauté.
Thomas AÏDAN