À l’aventure
Tous les films en France sont coincés entre quatre murs, je veux de l’horizon, de l’air, et renouer avec un cinéma d’aventure. » Ce sont les mots, d’une réjouissante intensité, prononcés par Alain Guiraudie dans l’entretien qu’il nous avait accordé pour la sortie de RESTER VERTICAL, en septembre dernier. Ils résonnent d’autant plus aujourd’hui que le cinéma contemporain, d’une manière générale, peine à arpenter de nouveaux territoires – on l’a vu à Cannes cette année. Ces trois injonctions pour un cinéma hors les murs implorent d’explorer le territoire comme une possibilité dramaturgique et non comme un simple élément de scénario. De l’air, car on n’en peut plus de rester enfermé, surtout en été. De l’horizon, car cela fait un bien fou de pouvoir se projeter, regarder autre chose que son nombril. De l’aventure, car on en a assez de ce cinéma qui a peur du risque, qui ne s’autorise que rarement à déborder de l’écran, à aller chercher l’aventure, voilà tout. C’est donc un geste conscient que de vouloir réunir ces trois formules enjouées : donner libre cours à l’imagination, faire exploser les règles, élargir la perception. Filmer un territoire, cela signifie autant s’abandonner pleinement à lui que l’appréhender, le dompter puis lui conférer une signification. Il y a un jeu de regard évident entre deux entités prêtes à travailler main dans la main. Pourquoi un territoire plutôt qu’un autre ? C’est tout l’enjeu de la longue enquête que nous avons menée, où l’on comprend que les cinéastes choisissent souvent un lieu familier, ou un endroit qui tourne dans leur esprit depuis toujours : une ritournelle qui revient sans cesse. Lorsque James Gray se décide à aller filmer en pleine jungle, le danger grouille (le cinéaste l’a assez raconté en ces pages), mais le désir d’aventure est plus fort, il se marie à celui d’ouvrir le champ des possibles, de faire respirer les corps. C’est un peu comme inciter un enfant à sortir de sa chambre en lui offrant un vaste terrain de jeux. Le cinéma, art de l’espace, se confine trop souvent aux petites délimitations, par manque de volonté dans la plupart des cas. Certes, de grands films se sont tournés dans une seule et unique pièce (4H44 DERNIER JOUR SUR TERRE d’Abel Ferrara faisait résonner en 2012 toute la stupéfaction du monde à l’aune de l’apocalypse dans un seul appartement) mais ils restent rares, tant le besoin d’extérieur est légitime. On confond justement filmer à l’extérieur et filmer un extérieur. Il n’est pas seulement bon de laisser la caméra enregistrer mécaniquement les voix d’un territoire, il faut aussi faire preuve de patience, d’intelligence, de créativité. Nous tenions à célébrer les territoires dans ce numéro estival, puisque la période est propice au voyage, plaisir immense que de pouvoir s’envoler vers l’extase. En espérant que cet ensemble soit source de plénitude. Bel été à tous et donc, à l’aventure !
Thomas AÏDAN