Festival Même pas peur à La Réunion : Jour 2
2 + 1 = 3 peaux nues
par Noémie Luciani
En 2021, le daily Même pas peur a la bosse des maths : je vous parle de deux courts et d’un long qui travaillent la même idée chacun à leur manière - et de la programmation comme art d’imaginer ces rencontres.
Letter to my mother d’Amina Maher (Allemagne, Iran, 19 minutes)
Nouveau jour, nouvelle claque. A l’ouverture de la séance de courts métrages du jeudi, Letter to my mother est un brasier intimiste de 19 minutes dans lequel la réalisatrice transgenre iranienne Amina Maher, qui jouait enfant le rôle principal de Ten (2002) d’Abbas Kiarostami, explore au gré d’une forme délibérément instable la réinvention de l’identité. Il faut lire le tissage irrégulier du film comme un tissu cicatriciel, indice de sa véritable nature : le cinéma, ici, est une quête de survie. Il libère et sublime la parole nécessaire dans une voix off si intensément présente qu’il nous semble l’entendre toujours en ses silences, et dans la longue contemplation, cœur matriciel du récit, d’un corps masculin qui se rase - un homme qui mue et renaît femme. C’est trop simple à écrire : il faut le voir, longuement, sur grand écran, sous tous les angles, pour saisir dans son intensité douloureuse l’épreuve de la peau nue.
Klaüd (Aurélia Mengin, La Réunion, 4 minutes)
La créativité fait oublier l’opacité des murs. Confinés en 2020, Aurélia Mengin et Nicolas Luquet, son co-programmateur et partenaire créatif, ont imaginé dans la continuité de leurs autres collaborations (Nicolas Luquet, qui compose sous le pseudonyme de Luke Kay, avait notamment signé la bande originale de Fornacis, le long métrage d’Aurélia Mengin) cette vidéo musicale expérimentale de 4 minutes. Luke Kaye travaille sur ordinateur des boucles électros lancinantes traversées d’éclats de voix tandis qu’Aurélia Mengin puise dans le plus vieil arsenal des techniques de cinéma : inversions, surimpressions, maquillage - peau nue mais peinte comme à l’aube d’un combat. Impossible de savoir quel âge a ce tour-là, si bien accordé pourtant à l’époque, par lequel une malice juvénile et le goût passionné d’une matière cinéma sensible et malléable rencontrent une sérénité de vieux sage.
Lux Aeterna (Gaspar Noé, France, 51 minutes)
Mon long métrage du jour est stricto sensu un moyen métrage (51 minutes), mais s’il m’est permis d’emprunter une figure de rhétorique météo, en ressenti, c’est long - pour certains, trop. Un film de Gaspar Noé, c’est toujours une épreuve, surtout sur grand écran - mais peut-être ne faudrait-il la tenter que sur grand écran. Ce jeudi réunionnais en salle se ferme sur la peau nue de Charlotte Gainsbourg attachée, pour un rôle, au bûcher des sorcières, qui brûle sans flamme - en ressenti on jurerait, pourtant... Aiguisés à saturation par un jeu d’écrans fractionnés, d’effets sonores intenses, de filtres colorés, nos sens nous trompent. C’est de la sorcellerie que ce cinéma-là et il faut en vouloir, à 23 heures, au bout d’une journée de festival, pour tenir ces cinquante-et-une minutes - mais quelle cuirasse on se sera fait d’ici la clôture, à ce rythme-là.