Vers l’apaisement
Pour les 70 ans du Festival de Cannes (n° 10), Pedro Almodóvar nous avait envoyé un autoportrait (que nous republions ici), sur lequel il figurait seul dans sa chambre d’hôtel, regardant le palmarès de la cinquantième édition présidée par Isabelle Adjani. Ce document, qui nous paraissait délicat à l’époque, résonne avec ce numéro de manière particulière. Son nouveau film, DOULEUR ET GLOIRE, vient sonder la parcelle la plus intime du réalisateur. Fini les excroissances visuelles et les étourdissements érotiques, place à l’apaisement. Après Nanni Moretti et son MIA MADRE en 2015, Almodóvar signe lui aussi son film de la maturité. Non pas un film timide, timoré, mais une oeuvre qui vise l’essentiel – sans détour. C’est ce qu’il peut y avoir de plus saisissant dans l’autoportrait filmé, la part de vérité qui s’en dégage, un instant où l’on ne regarde plus quelqu’un parler de sa vie, mais parler à toutes les vies. Il est émouvant de rencontrer un esprit à coeur ouvert comme Almodóvar, de le voir dévoiler délicatement ce qui structure son oeuvre. On comprend bien pourquoi ce dernier film ne s’intitule pas « Le Premier désir » (après LA LOI DU DÉSIR en 1987), comme il en est fait référence dans l’histoire, mais « Douleur et gloire », car il n’y a pas de gloire sans douleur, ni bonheur sans chagrin ; confession que souhaitait probablement faire Pedro Almodóvar avec ce film, pour lequel on rêve d’ores et déjà d’une Palme d’or (qu’il n’a jamais remportée en cinq sélections). Il faut du courage pour évoquer ce qui nous tourmente réellement ; de l’audace pour prendre le risque de s’exposer, de partager avec un public attentif cette quête intérieure. On songe aux bouleversants témoignages filmés et publiés sur le web de jeunes homosexuels du monde entier, ramassés avec élégance dans COMING OUT de Denis Parrot, sorti depuis le 1er mai. Parler pour trouver l’apaisement et faire avancer les consciences. Les images ne s’organisent que pour libérer les non-dits. Si Moretti nous vient à l’esprit devant DOULEUR ET GLOIRE, c’est bien pour cet état méditatif que ces deux cinéastes ont réussi à atteindre, parce que l’existence change forcément de focale à mesure que le temps passe. Il y a là une forme de plénitude totale qui nous enlace de joie. On est heureux de sortir de DOULEUR ET GLOIRE le sourire aux lèvres, d’avoir senti une lave déchirante d’honnêteté couler sur nous. Le cinéma nous rappelle combien nous sommes tous reliés les uns les autres : « Chaque individu noue par son destin un lien avec le destin humain » (Andreï Tarkovski, Le temps scellé). Combien les images nous lient tous, comme en ce lundi 15 avril où nous étions impuissants à la vision des images de cette cathédrale Notre-Dame prise par les flammes. Les images créent notre mémoire collective, et chaque émotion versée fait partie d’un tout qui nous excède. Douleur et gloire, voici peut-être l’adage qui dit le mieux nos trajets existentiels.
Thomas AÏDAN