2020 : Transmission
Le cinéma peut-il sauver le climat ? Difficile de ne pas capituler devant une telle question. D’ailleurs, le cinéma est-il en mesure de sauver quoi que ce soit ? « Sauver » est probablement un mot trop connoté, mais rappelons combien le cinéma est un art de la diffusion, et par là, de la transmission : il a donc une importance capitale. On ne transmet pas tout, seulement ce qui nous anime. DARK WATERS, l’écothriller très réussi de Todd Haynes, transmet une méthodologie précise, active, intense, du travail sérieux d’un avocat qui lutte contre les pourris de l’industrialisation. Les cinéastes ne font que transmettre à l’infini des émotions, des sentiments, des idées. Ils nous offrent des boîtes à penser, des espaces de réflexion, et il faut dire combien ils sont rares de nos jours. La transmission repose sur de la bienveillance et de la générosité, les piliers d’une pensée juste et équilibrée. C’est un don de soi, qui ne sert aucune glorification personnelle, mais un souci obsessionnel d’examiner la vie. Le décès de Jean Douchet, collaborateur de haut vol de La Septième Obsession depuis son origine, en 2015, nous a plongés dans un profond deuil, mais il nous a rappelé combien le travail de passation était essentiel et qu’il a été mené jusqu’au bout par un homme d’un courage mémorable. Muni d’une intégrité sans faille, il savait se mesurer aux puissants sans baisser la garde. Il prenait appui sur ses convictions comme sur de la roche. Il pensait que la jeunesse – notre génération – était la seule à même de briser les petits arrangements du xxe siècle. Quand on voit une adolescente de 16 ans, Greta Thunberg, œuvrer à faire se soulever les esprits du monde entier sur les questions climatiques, on se doit d’applaudir mais aussi de reconnaître l’effort notable de cette jeune femme prête à tout pour transmettre une parole décomplexée, libre, remplie de « vérité ». Elle ose dire à des vieux cailloux capitalistes névrosés qu’ils préfèrent le pouvoir exclusif à la délivrance de tous. Ils sont les Dark Waters (« eaux sales ») de notre époque. Le cinéma doit pouvoir tendre la main à cette jeunesse, lui (re)donner foi, alors même qu’il est difficile d’avoir 20 ans en 2020, d’exister, de vivre, surtout quand les impératifs sociaux nous rappellent qu’il faut gagner sa vie et réduire ses rêves à de simples confiseries psychologiques. Rassembler ces êtres, rêveurs peut-être, idéalistes – mais il en faut –, c’est montrer que l’intelligence existe, que tout est encore possible. Marine Le Pen a ironiquement nommé son parti le Rassemblement national, mais de quel rassemblement parlons-nous ? Il ne peut pas y avoir de réel rassemblement sans sincérité, ni courage, ni force de conviction. Ces valeurs refuges sont à transmettre à l’infini. Une gageure pour la décennie dans laquelle nous entrons – un peu les yeux bandés, avouons-le.
Thomas AÏDAN